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18/06/2021 CEC 2028
Enseignant chercheur devenu consultant, Ulrich Fuchs a préparé la candidature de Brême au titre de Capitale européenne de la Culture 2010, puis il a été nommé directeur adjoint et directeur du programme de Linz, Capitale 2009, et de Marseille-Provence, Capitale 2013. Ce Franco-Allemand, aujourd’hui installé à Marseille, a également été membre et président du panel européen pour la sélection des Capitales. Retour d’expériences.
Je commencerais avec un sentiment très positif. C’est une belle aventure qui demande beaucoup de travail et qui demande de travailler très sérieusement avec toute la ville ou la région candidate, et pas uniquement avec le secteur culturel. Martine Aubry, au sujet de Lille, avait dit : “On a gagné dix ans de développement urbain avec ce titre”. C’est tout à fait ça ! Si on réussit le travail, on peut pousser une ville dans le futur ! Ce titre va bien au-delà d’un simple festival. Il s’agit de développer un programme pour toute une année, plus les cinq années de préparation. C’est un énorme défi ! Il faut donc l'appui de toute une ville, de toute une région et si on réussit ce pari, c'est un vrai catalyseur. Prenez l’exemple de Marseille. Les gens sont aujourd’hui surpris de voir à quel point cette ville s’est développée grâce au titre de Capitale. Plusieurs problèmes ont beaucoup marqué Marseille... Cette ville a connu une crise économique et une crise de l’image. Mais cette année Capitale a changé le regard sur Marseille. Lille aussi n’était pas connue comme une ville particulièrement développée culturellement. Aujourd’hui, en termes de culture, elle a beaucoup de choses à dire !
Prenons encore l’exemple de Marseille. C’est un exemple un peu exceptionnel car ce n’est pas une obligation pour les villes d’investir autant, mais il faut bien imaginer qu’il n’y avait rien avant et que Marseille avait un énorme retard culturel. Ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de Clermont. À Marseille, le Mucem est un investissement qui a complètement changé l’ouverture sur la mer et les habitudes des Marseillais ! La Capitale a donc apporté un nouveau musée national, mais aussi le réaménagement et la piétonnisation du Vieux port. Preuve que l’accès à la culture se fait aussi par l’usage de l’espace public. Quand il n’y a pas forcément de gros investissements, il y a aussi d’énormes retombées, notamment au niveau du tourisme. On parle de 10 à 15 % d’augmentation pendant l’année Capitale. C’est tellement connu maintenant que les gens réservent leurs vacances en fonction du titre. Cette augmentation continue aussi après l’année Capitale. Il y a vraiment des effets à long terme. Il y a aussi une amélioration de l’offre culturelle, grâce notamment aux partenariats européens noués pendant l’année Capitale. C’est une richesse culturelle qu’on peut garder après. Enfin, il y a le travail sur l’accès du grand public à la culture. On sait que l’accès est assez limité. Or c’est un travail demandé dans les critères de sélection. Et ce travail, si on le réussit, c’est un plus pour la politique culturelle de la ville.
Aujourd’hui, les gagnantes sont les villes qui comprennent la culture comme moteur de développement urbain. Regardez en Autriche. Vienne et Salzbourg sont plutôt connues comme des villes avec une culture traditionnelle, plus élitiste. Mais Linz, en devenant Capitale européenne de la Culture, a su tirer son épingle du jeu en misant sur la culture pour tous, sur la digitalisation de la culture. C’est une ville, souvent associée au régime d’Hitler, qui a beaucoup travaillé sur son image, sur sa mémoire. Ce qui est très demandé par la Commission européenne, c’est aussi de réfléchir à un plan B. Les bonnes villes candidates préparent aussi l’échec. Certaines ont continué dans le développement culturel. En candidatant, il faut penser une stratégie culturelle à long terme. En tout, il y a six critères de sélection étudiés par les 10 membres du jury indépendants nommés par les institutions européennes : la contribution à la stratégie à long terme ; la dimension européenne ; le contenu culturel et artistique ; la capacité de réalisation ; la portée et la gestion. Le processus de sélection est extrêmement long avec plusieurs étapes. Des dossiers, des présentations, une visite sur site, etc. Je vais vous raconter une anecdote à ce sujet. En 2008, lorsque le jury s'est déplacé à Bordeaux, ville candidate, il a été reçu par monsieur le maire lors d'une grande réception avec champagne et foie gras. Quand il est arrivé à Marseille, il a été reçu par l'équipe qui préparait la candidature. La première étape, ça a été les Baumettes, où un projet de danse avait été monté avec les prisonniers. Je vous laisse imaginer ce que le jury a le plus apprécié... Ce n'est pas la grande réception avec champagne et foie gras !
Cette idée de candidature élargie à tout le Massif central me semble bonne. Aujourd’hui, on parle plus de métropoles que de villes et ces grands périmètres sont plutôt bien accueillis au sein du jury. J’ai regardé aussi les quatre axes de votre candidature et je les trouve très convaincants ! Intégrer la nature de cette façon, avec les questions actuelles sur le futur de notre planète, c’est, à mon avis, quelque chose qui sort du quotidien. On oppose souvent nature et culture. Or, choisir de les marier, c’est très innovant. Il y a aussi tout le volet sur l’histoire de Clermont- Ferrand, avec ce passé ouvrier. C’est quelque chose que j’apprécie beaucoup car ça donne une opportunité de travail sur la mémoire. Il y a des similitudes avec la candidature de Marseille qui a travaillé sur son passé colonialiste et celle de Linz, en Autriche, qui a une histoire liée au fascisme. Mettre ces questions qui peuvent être un peu difficiles à l'ordre du jour, me semble très pertinent.